Jean-Marc Cotta accompagnateur en montagne,   auteur photographe

La traversée du Parc National des PYRÉNÉES

La Traversée des Pyrénées est une longue aventure que nous faisons par étape. Cette année, nous marchons de la vallée d’Aspe à Gavarnie et traversons le Parc National.

 

traversée du Parc National des PYRÉNÉES

 

Cet été, j’ai été dans l’obligation de changer les dates vu l’enneigement exceptionnel de l’hiver… et du printemps. Les refuges étaient encore sous la neige jusqu’à mi-juillet et les différents cols que nous devons franchir à 2700 mètres sont pour certains encore sous l’emprise des névés. Du coup, le groupe a fondu comme neige au soleil, seulement 4 ont répondu présent pour m’accompagner du 8 au 14 septembre : Elisabeth la bretonne, Monique la marseillaise ainsi qu’Aline et Joseph les marseillo-capverdiens !

Mais pour l’instant il pleut et chacun avance encapuchonné sous sa veste ou son poncho, prenant rapidement un peu d’altitude dans la hêtraie-sapinière où nous observons nos premiers isards. Personne ne parle, et chacun avance à petits pas sous une pluie battante, qui au bout d’une heure se fait plus douce et laisse entrevoir les lumières sur les versants opposés. Je décide alors d’aller pique-niquer à l’abri et motive les troupes pour grignoter quelques fruits secs afin de manger à l’heure espagnole. Les nuages vidés nous tournent autour et nous laissent entrevoir la vallée et les estives.

En plus des victuailles, nos sacs sont chargés des affaires pour passer la nuit en refuge… refuge que certains fantasment car c’est la première fois que nous nous orientons vers ce genre d’hébergement. Les années précédentes, nos pas taillaient la route le long du GR10 et le soir venu, nous descendions dans les villages où nous retrouvions Denise et les valises acheminées en camion. Cette année, j’ai proposé de suivre la HRP, la Haute Route Pyrénéenne afin de traverser le Parc National par son cœur et de profiter de la majesté des lieux. Cela implique quelques nuits en refuges avec du portage, des nuits en dortoirs et surtout une absence totale de douche…

 

la HRP, la Haute Route Pyrénéenne

 

Encore une belle montée et nous atteignons groupés le fameux col d’Ayous alors qu’un ouuaaaah simultané s’échappe de nos bouches : malgré les nuages nombreux, le pic du midi d’Ossau, paré des lumières rasantes d’une fin d’après-midi, nous offre ses belles faces nord-ouest. Moi qui pourtant connais mon jardin, je reste bouche-bée face à tant de beauté de cet altier et fier sommet. Quelques photos plus tard, nous partons nous réfugier dans ces phares d’altitude que sont les refuges. Un grand sourire d’une blonde bretonne que je connais nous invite dans sa demeure : Françoise est la gardienne et nous a préparé un succulent diner réparateur.
Une nuit en refuge est aussi l’occasion de rencontres : un couple russo-allemand dîne à nos côtés ainsi que 6 jeunes bretons, pendant que l’Ossau n’en finit plus de se miroiter sur le lac, spectacle que nous admirons au chaud à travers la baie vitrée.

 

l'Ossau

 

Au petit matin après un frugal petit-déjeuner, devenant pour un moment bergers, nous partons hors sentier à travers le cheptel de brebis. Si tous souhaitent inconsciemment observer l’ours, d’aucun n’aimerait voir son troupeau croqué par le grand prédateur.
Mais nous n’avons pas vraiment la tête à ça, mais plutôt à faire attention à nos pas : la pente est raide et il ne faudrait pas poser le pied dans un trou de marmotte, nombreuses à siffler et à s’enfuir à notre vue. Il nous faut traverser un gros ruisseau (pieds nus pour certaines) gonflé par la fonte des neiges, serpenter le labyrinthique bois des Arazures aux pins à crochets tourmentés, avant d’observer quelques fleurs comme des épilobes hérissées ou joubarbes à toiles d’araignées. Puis grimper sous la falaise calcaire de la Pène de Peyreget, sous le vol de quelques vautours fauves dont les orbes ne nous empêchent point de s’offrir un luxueux restaurant. D’ailleurs, une sieste vient clore ce moment magique où il nous faut repartir, dilemme de tous vagabonds des cimes.

 

Des edelweiss s’offrent à nous tandis qu’au loin, majestueux et pyramidal se dresse le pic d’Anie en vallée d’Aspe, qui l’an dernier nous avait vu se hisser jusqu’à sa cime frontalière à 2504 mètres. Nous dévalons la pente dans les champs de dryades octopétales en graines jusqu’à la cabane de Peyreget où nous discutons avec le berger.
Rapidement nos mots glissent sur le terrain de l’ours et Aline qui se voyait déjà aide- bergère décline l’invitation quant il nous présente son trésor : des excréments d’ours ramassés ici même ! Joseph en parfait « crotologue » reconnaît le propriétaire… et dans cette bonne humeur nous acceptons le café offert par notre hôte que les filles remercient de quelques chocolats et calissons d’Aix en Provence !
Nous quittons notre pâtre pour aller faire un plouf à la plage d’un petit canyon en contrebas et retrouvons en fin d’après-midi Denise et les bagages pour filer à l’hôtel de Gabas en minibus.

 

repos du randonneur

 

Mardi matin après un petit café, nous décidons de ne pas trop nous presser vu le temps humide : nous rejoindrons le refuge d’Arrémoulit par le chemin le plus court, le val d’Arrius. Sous une pluie fine et un froid vif, nous avalons les dénivelés et trouvons abri à la quèbe d’Arrius, roche en surplomb aménagée, où j’avais dormi voici quelques années. Si le courant d’air et le froid pénètrent cet auvent troglodyte, la pluie, elle, ne peut nous atteindre et c’est équipé de bonnets et de gants que nous entamons nos provisions. Sans sieste ni boisson chaude, nous repartons sous la même pluie en évitant de ne pas marcher sur les innombrables marmottes qui jalonnent le sentier. Au col du même nom, le petit groupe se scinde en deux, laissant les amoureux descendre puis remonter quelques 500 mètres supplémentaires, tandis qu’avec Monique et Elisabeth nous nous orientons vers le fameux passage d’Orteig. Ce raccourci à travers une petite vire équipée d’une main courante, a été imaginé puis aménagé par le vieux guide ossalois, Jean Orteig, dit « l’Animal ». Si les filles passent à l’aise sur ce terrain d’aventure patiné et glissant, nous arrivons tout de même, usés par le froid et la concentration, à bon port, à Arrémoulit, 2300 mètres au pied de nombreux lacs glaciaires. Rustique, le plus vieux refuge des Pyrénées est des plus chaleureux par l’accueil réservé par son gardien, David Piol. Le poêle Godin ronronne et comme les autres randonneurs nous nous déshabillons et suspendons nos vêtements autour de cette fonte magique qui réchauffe la pièce et l’atmosphère. Mais ce n’était sans compter le vin chaud que nous avalons, suivi tout de go par le Jurançon offert par le maître des lieux. La politesse étant de mise dans ces circonstances, c’est une avalanche de chocolats et biscuits qui répond aux apéros nombreux. À travers l’embrasure de la porte qui s’ouvre, le froid s’engouffre mais les yeux de Joseph et les miens se réchauffent quand franchit notre couple russo-allemand et surtout Petrouchka, rencontrée quelques jours auparavant à Ayous. La magie de l’altitude fait émerger de je ne sais quel endroit, 4 jeunes étudiants toulousains dont parmi eux, un ukrainien avec une bouteille de… vodka au piment et au miel !

 

l'Ossau

 

L’extension de l’Europe devient envisageable, surtout qu’un charmant couple suisse débarque et ne peut nous laisser sans une nouvelle tournée, de génépi cette fois-ci… l’Europe devient une excuse pour remplir et vider nos verres. Ce soir, tout le monde décrète le refuge d’Arrémoulit meilleure taverne de tout le HRP !

La nuit fut réparatrice et c’est un froid glacial qui nous leva du lit pour la plus longue étape de la semaine. Alors qu’une fine couche de glace s’est déposée sur les blocs de granit et nous demande une concentration accrue, nos corps engourdis s’élèvent vers le col d’Arrémoulit. Les lacs nous offrent des reflets somptueux dans un silence pénétrant.

 

groupe de randonneurs

 

À l’embouchure du col frontalier s’étale face à nous le fier Palas, plus haut sommet du département à 2974 mètres mais aussi le surprenant Balaïtous qui avec ses 3144 mètres fait de lui le premier 3000 depuis l’océan Atlantique. Véritable massif, il comporte plusieurs glaciers, de nombreuses arrêtes et différents accès jusqu’à sa cime débonnaire. Avec prudence, nous descendons la pente jusqu’aux petits lacs d’Arriel où nous retrouvons un chemin en balcon qui, par magie, nous fait basculer de la haute montagnes aux paysages bucoliques. A deux reprises, nous observons facilement le tichodrome échelette, reconnaissable à son vol mais aussi aux couleurs flamboyantes de ses ailes mouchetées de blanc. Une espèce rare dans un lieu difficilement accessible, voici une des récompenses de cette traversée par la HRP.

randonnée dans le Parc National de Pyrénées

Mais le chemin, loin d’être terminé nous amène jusqu’au plateau de Respumoso, et ses lacs ceinturés de pins à crochets. Ensuite, nous grimpons au col de la Fache parmi les névés et les sourires d’Aline qui adore ces passages… Nous débouchons tard et seul au monde, au col basculant à nouveau en France. Face à nous, danse ou plutôt sautille une hermine avec sa robe d’été et nous la regardons un moment. Il me faut motiver le groupe pour ne pas perdre trop de temps dans les 2h de descente, où des plis géologiques de toute beauté répondent à notre fatigue, et nous offrent les ailes de rejoindre, dans un lieu magique, le refuge de Wallon.

randonneur dans le Parc National de Pyrénées

L’accueil n’a rien à voir avec le précédent et il nous faut nous adapter chaque jour à nos nouveaux gardiens : notre groupe de « végétariens du soir » ne fait vraiment pas rire notre hôte, mais c’est avec plaisir que nous retrouvons nos compères suisses et partageons en fin de dîner une nouvelle tournée de génépi réparatrice !


Il a encore gelé cette nuit et les muscles se réveillent doucement, dans la pente raide qui monte aux estives où le soleil commence à montrer le bout de son nez.
randonnée dans le Parc National de Pyrénées
Nous quittons le sentier pour suivre le cours d’eau et se laver la tête parmi le vacarme des cascades qui se succèdent. L’accès au col est plus périlleux que prévu, et c’est en cheminant de cairns en cairns, que nous atteignons le lac en contrebas du col frontalier. Un névé tombe raide dans ses eaux cristallines qui ne nous invitent pas à tremper les pieds. A ce restaurant improvisé, nous enfilons veste coupe-vent et bonnet, et savourons le privilège de faire partie de ces lieux un moment. Une sieste fort agréable nous offre un repos tandis qu’un vautour nous surprend en rasant nos têtes dans un bruit sourd, que provoquent ses ailes pénétrant l’air.
Ce signe est l’heure du départ et nous atteignons en un rien de temps l’Espagne. Une sente en balcon traverse dans un éboulis énorme une pente vertigineuse, les deux cols frontaliers que nous devons rejoindre, sous l’imposant Vignemale. Aline plus à l’aise que jamais s’amuse de ce passage acrobatique et le trouve même trop court à son goût ! Côté français le sentier est enseveli sous la neige et étant dépourvus de crampons, il nous faut couper parmi les blocs. D’un coup le refuge apparaît, minuscule au bout d’un grand replat, sur une butte à l’abri des méandres des rivières glaciaires qui parcourent ce plateau, où de nombreuses linaigrettes attestent de l’ambiance marécageuse. La face nord du Vignemale apparaît et toise de ses 950 mètres de verticalité absolue, le petit refuge que nous sommes heureux de trouver dans ce désert de pierres. Cette face, où quelques glaciers s’accrochent à sa base, est entrecoupée de plusieurs couloirs et goulottes qui cisaillent complètement le massif. Je narre au groupe les exploits et mésaventures des grimpeurs, et surtout des premiers alpinistes à avoir vaincu ces passages délicats, ainsi que mes propres courses qui m’ont vu parcourir ce sommet mythique des Pyrénées.
L’aménagement moderne du refuge le classe en haut de la liste surtout par sa douche, même froide que certains utilisent.

 

rglaciers suspendus du Petit Vignemale

 

Notre journée du vendredi nous fait glisser du monde minéral à celui plus classique de la forêt, où nous retrouvons Gavarnie. Mais avant cela il nous faut encore grimper deux heures jusqu’à la hourquette – nom local qui désigne le col – d’où une vue implacable sur les glaciers suspendus du Petit Vignemale, nous dévoile séracs et crevasses, afin de basculer dans l’immense vallée d’Ossoue, gardée depuis son haut par le refuge de Baysselance. À ce dernier nous commandons cafés et crêpes et bavardons avec quelques madrilens, me demandant le cheminement pour l’ascension du Petit Vignemale.

Il nous faut descendre, perdre 1500 mètres de dénivelés par un magnifique sentier qui croise quelques névés mais aussi de nombreuses caravanes, partant à l’assaut des cimes tel le Vignemale, le plus haut sommet des Pyrénées françaises à 3298 mètres. Harassés, nous atteignons un lac aux couleurs émeraude, et nous nous offrons un petit bain de pieds jusqu’à une petite île. Le plaisir de se déchausser après tant d’heures enfermé dans les chaussures est supérieur à tout ce qu’on peut imaginer. Enfin, une vraie sieste sous cette chaleur de l’été indien, nous redonne les ailes d’en finir et descendre encore pour se faufiler à l’ombre des troncs de hêtres, où des framboises par centaines attendaient nos mains. Et sous le vol majestueux de l’aigle royal, suivi de près par le gypaète barbu, nos yeux découvrent enfin le célèbre cirque de Gavarnie.

Au lieu de rendez-vous prévu, le minibus et nos bagages nous attendent et nous rejoignons en une poignée de minutes notre hôtel avec douche chaude ! Un frugal repas et sa garbure nous assomme et c’est sans difficulté que nous profitons de la nuit réparatrice.

 

 
randonnée dans le Parc National de Pyrénées

 

En ce samedi 14 septembre, nous avons le temps d’une petite balade. Le choix s’oriente de délaisser la fameuse cascade dans le fond du cirque, qu’une multitude de marcheurs parcourent souvent à dos de mule. Nous grimpons par des hors sentiers où pullulent marmottes, aconits napel et iris encore en fleur, jusqu’au refuge belvédère des Espuguettes où je retrouve des amis gardiens. Encore un café avec un carré ou deux de chocolat, et nous perdons un peu d’altitude pour se mettre à l’abri du soleil dans la pinède du Pailla, pour notre dernier pique-nique en commun.

flore du Parc National de Pyrénées

 
 
Et comme tout à une fin, nous descendons pour la dernière fois les gradins de calcaire jusqu’au village de Gavarnie, où dos au cirque nous grimpons dans le minibus pour rejoindre Oloron-St-Marie, récupérer les véhicules restés à l’arrêt.

Une semaine de bonheur sous le signe du partage et de la nature, une semaine de convivialité et d’efforts physique partagés, une semaine loin du bruit et hors du temps. Nous évoquons l’étape de l’année prochaine et décidons collectivement, de repartir par les chemins des refuges, car malgré la rusticité des hébergements c’est surtout la qualité des parcours qui est extraordinaire, et finalement, n’est ce pas un luxe que de passer une semaine hors du temps et du confort ordinaire ?

Jean-Marc Cotta - accompagnateur montagne 3 route de Bosdarros - 64260 Rébénacq